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Petite histoire de la céramique scandinave au XX ème siècle

Dès la fin du XIXe siècle, les potiers suédois, danois, norvégiens ou finlandais entament une relation étroite avec les designers déjà installés, et suivent les influences des courants européens de l’Art Nouveau ou de l’Art Déco. La production scandinave est alors reconnue pour sa qualité mais doit acquérir un style propre, s’inspirant pleinement de l’esthétique de ces pays. Après guerre, la grande tradition nordique du travail de la céramique se développe grâce à l’essor d’importantes manufactures comme celle de Gustavsberg, Kähler ou Arabia.

Au départ de cette grande tradition de production de céramique dans le nord de l’Europe, on trouve des ateliers d’artisanat familial, puisant l’inspiration et la matière au cœur de la nature environnante. Les pièces créées étaient d’abord vouées à un usage quotidien, pratique, qui a peu à peu induit une recherche sur l’ergonomie des formes, recherche qui forge l’identité visuelle du design scandinave. En cela, cette production qui allie les préceptes de l’humanisme et les virtuosités des techniques développées par les artistes, est tout à fait représentative de la qualité des productions nordiques en général. Les céramistes se forment dans les grandes manufactures et sous leur égide, apparaissent de grands noms qui se distinguent par leurs productions raffinées. Pionnière en la matière, la manufacture de porcelaine Gustavsberg conçoit le service « Viking » aux motifs puisés dans le folklore local qui connaît un grand succès.

En 1925, un grand nombre de céramistes représentent le royaume du Danemark à l’Exposition des arts décoratifs de Paris. Un style émerge, marqué par une recherche d’équilibre formel, une palette souvent réduite aux couleurs sobres de la nature et une certaine simplicité. Certains produisent dans le plus pur style moderniste propre aux productions scandinaves des années 1930, apparaissent ainsi des créations élégantes mais dont le but premier reste le fonctionnalisme. D’autres, comme Axel Salto (1889-1961), s’opposent à ce modernisme ambiant et réalise des pièces d’inspiration plus romantique, dont les formes s’inspirent des essences et des couleurs de la nature danoise. Ses œuvres ont pour thèmes principaux les plantes et les animaux, il utilise des tonalités sombres et chaudes. Les couleurs sont magnifiées par l’apposition d’une glaçure plombifère inspirée de la technique des céramiques chinoises de la dynastie Song.

Les céramistes prennent de plus grandes libertés et laissent libre cours à leur imagination et aux influences diverses. Ainsi Knud Kyhn (1880-1969) réalise au sein de l’atelier Kähler (Danemark) des figurines animalières fantaisistes (il travaillera également pour Royal Copenhagen et Bing & Grøndhal). Sur l’île de Bornholm (mer Baltique) riche en argile, l’atelier de Michael Andersen (1859-1939) et ses quatre fils constitue une vraie dynastie. Dans les années 1930-1950, sont produites des pièces émaillées aux motifs animaliers ou végétaux sculptés en bas-relief à l’antique. Les glaçures céladon (rehaussées de touches corail) imitent la mousse végétale. Les formes des cruches sont parfois tirées des cucurbitacées.

A leur image, les générations suivantes d’artistes choisissent de fonder leurs propres ateliers pour développer des formes uniques et former des apprentis. C’est le cas de Arne Bang (1901-1983) qui s’adonne à la réalisation d’objets utilitaires raffinés, en grès ou en céramique, décorés de plis et cannelures caractéristiques, associés parfois à des couvercles en argent. Dans la lignée du mouvement Arts & Crafts et de l’artiste Émile Gallé, les créateurs scandinaves signent leurs œuvres, faisant ainsi passer la céramique dans le domaine des arts décoratifs à part entière. La demande publique, soutenue par des associations de défense du design industriel, des expositions et de la presse, encourage la production : posséder une belle pièce en céramique n’a plus rien d’élitisteChez Rorstrand, les créations de Gunnar Nylund (1904-1997), finlandais né à Paris d’une mère céramiste et d’un père sculpteur, imposent un style moderniste épuré avant de se tourner vers le porcelainier danois Bing & Grøndhal. Son élève Carl Harry Stålhane (1920- 1990) invente à sa suite une grande variété formelle (ondulant, pansu, élancé…) Les femmes tiennent aussi un rôle de premier ordre, Inger Persson (née en 1936), très prisée pour ses théières en série, ses vases pop en forme de bobines aux couleurs acidulées anis, bleu cobalt, rouge vif et ses pièces uniques en grès chamotté à la thématique orientaliste (calligraphies peintes, bleus de Chine).

Il parut évident à la galerie Carole Decombe de présenter pour sa nouvelle exposition « Humanist Modernism » une sélection choisie de céramiques scandinaves, elles proviennent pour la plupart de la maison danoise Kähler et de la fabrique finlandaise Arabia.

C’est pour nous, l’occasion de nous pencher sur l’histoire de ces deux illustres maisons. La fabrique Kähler est une entreprise familiale depuis quatre générations, le premier atelier apparait en 1893, elle existe encore aujourd’hui. C’est Herman August (1846-1917) qui a marqué l’entreprise, sa créativité, son intérêt sans cesse renouvelé pour les émaux et les couleurs brillantes, en particulier le rouge vif, un rouge métallique, dynamiseront la société. En présentant une oeuvre extraordinaire dans ce rouge si particulier à l’Exposition Universelle à Paris en 1889, il gagnera une visibilité mondiale et sa marque HAK ne cessera  alors de parcourir le monde. L’originalité restera une des marques de fabrique de cette société qui n’hésitera pas à faire travailler des femmes peintres décoratrices qui s’exprimeront toujours très librement mais dans l’anonymat sous la marque HAK, artistes comme Stella Kähler, Signe Steffensen, Tulle Emborg. La galerie présente une sélection de luminaires et vases de cette fabrique des années 40 aux années 70.

C’est également au XIX ème siècle qu’apparait la grande fabrique de céramique finlandaise ARABIA, précisément en 1874, au nord de la commune d’Helsinki, au lieu-dit Arabia. A l’origine, elle ne produit que de la vaisselle en faïence et porcelaine, c’est en 1896 avec l’arrivée du premier designer Thure Öberg que la fabrique marque l’histoire de la céramique avec des pièces au dessin original. Quatre ans plus tard en 1900, elle reçoit une médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris. Elle ne cessera alors d’attirer de grands talents, des artistes qui dessineront des pièces exceptionnelles et s’essaieront à des techniques nouvelles. La compagnie ne cessera de croître pour devenir le numéro un de la céramique en Europe avant la deuxième guerre mondiale. Outre sa production de masse, elle ne cessera jamais de produire de la Céramique d’Art dont les pièces de Birger Kaipianen dès 1960, comme la « Pensée » que présente la galerie.

Posté le 10 février 2016